Agnès Pannier-Runacher : « Il n’y a pas de pays capable de protéger ses populations sans industrie forte »

Par Juliette JAULERRY

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'industrie.

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'industrie.

La ministre déléguée à l’industrie Agnès Pannier-Runacher aborde les sujets brûlants de l’accompagnement de la relance, de la relocalisation et du soutien du secteur aéronautique. Elle dresse aussi le bilan sur le soutien de la filière industrielle en Occitanie. 

Quel bilan des six mois dressez-vous sur les actions menées en faveur du soutien de l’industrie ?
Le plan France Relance est un plan massif et inédit de transformation écologique et numérique, au service de notre compétitivité et souveraineté. L’industrie s’y taille la part du lion puisqu’elle représente 35 milliards des 100 milliards prévus pour le plan.

Notre objectif est de faire de l’industrie la colonne vertébrale de notre rebond. Dès cette année, nous baissons de 10 milliards d’euros les impôts de production et cette baisse sera pérennisée.

Par ailleurs, les appels à projet de soutien à l’investissement industriel ont permis d’apporter, à fin mars 2021, un soutien à la réalisation de plus de 1.300 projets productifs représentant 6,3 milliards d’euros d’investissements industriels. Cela représente un accompagnement de l’Etat de 1,6 milliards d’euros. Plus de 80% des projets soutenus sont portés par des TPE/PME et des ETI.  L’Occitanie en a bien sûr bénéficié : 475 millions d’euros d’investissements seront ainsi réalisés dans 121 entreprises  et bénéficieront de 140 millions d’euros de soutien de l’Etat.

Quels seront les points d’amélioration dans la poursuite de ce programme ?
Nous devons faire preuve de souplesse et d’agilité, c’est ce que nous demandent les entreprises. D’abord en simplifiant au maximum les dispositifs : pour qu’elles puissent s’en saisir, nos dispositifs ne doivent pas s’apparenter au parcours du combattant. Le message a été reçu cinq sur cinq. Beaucoup d’entreprises ont des projets de grande qualité et sont prêtes à prendre des risques. Devant les succès que nous avons rencontrés, nous avons donc obtenu avec Bruno Le Maire de consacrer 1 milliard d’euros supplémentaires au soutien aux investissements industriels.

Le PGE pourrait-il passer de 6 à 8 ans ?
Les prêts garantis par l’Etat ont permis de limiter l’impact de la pandémie sur la trésorerie des entreprises. C’est un succès avec plus 130 milliards d’euros de prêts accordés à plus de 650.000 entreprises. Nous avons d’ailleurs décidé de prolonger la durée d’octroi de ces prêts en 2021.

Allonger la durée des PGE au-delà de six ans ne pourrait en revanche s’effectuer dans des conditions aussi favorables que celles qui prévalent aujourd’hui. Les PGE ne s’accompagnent en effet actuellement d’aucune garantie ou sureté prise sur l’entreprise ou son dirigeant, il s’agit de la dette « senior » la plus avantageuse pour les entreprises.

 

Souveraineté nationale :

Après le milliard d’euros pour l’industrie annoncé en octobre dernier, une deuxième vague du même montant a été annoncé en février pour soutenir la relocalisation. Est-ce un pari réalisable sur le plan de la compétition internationale ?
Non seulement on peut, mais on doit réindustrialiser la France. Je l’ai dit à plusieurs reprises, c’est un enjeu de souveraineté. Cette crise a éclairé d’une lumière crue nos vulnérabilités. Elle nous a confortés dans notre conviction qu’il n’a pas de pays capable de protéger ses populations sans industrie forte. Nous avons donc la responsabilité d’aller plus vite et plus fort dans la politique de reconquête industrielle que nous avons engagée dès 2017 sous l’impulsion du Président de la République. Cette politique avait commencé à porter ses fruits : En 2017, en 2018 et en 2019, nous avons recréé des emplois industriels nets, ce n’était pas arrivé depuis 2000 !

Quel bilan des initiatives de relocalisation déjà menées depuis 2017 ? y-a-t-il une accélération du mouvement depuis la crise sanitaire (avez-vous des chiffres, des exemples, notamment en Occitanie) ? Il y a incontestablement une accélération du mouvement avec la crise sanitaire. 40% environ des projets industriels soutenus par France relance sont des projets de localisation ou de relocalisation de production en France. La Région Occitanie ne fait pas exception. Elle a bénéficié des aides à la relocalisation industrielle, avec déjà vingt-deux projets bénéficiaires pour un total de plus de 26 millions d’euros d’aides et 77 millions d’euros d’investissements industriels. Cela représente plus de 1.300 emplois créés ou confortés.

 

Aéronautique :
L’Occitanie a été la région la plus touchée par la crise dans le secteru industriel, notamment à cause du poids de son activité aéronautique. Comment accompagnez-vous ce secteur ?

L’Etat accompagne les entreprises de la filière aéronautique depuis de très nombreuses années via des mesures transverses comme le Crédit Impôt Recherche. La crise sanitaire a impacté lourdement la filière avec une baisse d’activité brutale de 40% voire plus dans certains segments. Le gouvernement a donc mis en place dès juin 2020 un plan de soutien massif à l’aéronautique. Nous avons mobilisé 15 milliards d’euros pour soutenir l’achat d’avions et la production tout en protégeant les emplois et les savoir-faire. Ces mesures viennent compléter le dispositif d’urgence mis en place au début de la crise, avec les prêts garantis par l’Etat et l’activité partielle.

La R&D autour de l’avion vert et la digitalisation sont dans votre collimateur. Mais est-ce que cela suffira à sauver la supplychain ?
Le soutien aux investissements est un axe majeur de notre plan de soutien à la filière.

Par exemple, le fonds de soutien aux investissements de modernisation, de diversification et de verdissement dans l’aéronautique a été doté de 300M€, permettant à la supply chain de continuer à investir. Il a connu un franc succès et la région Occitanie en est la première région bénéficiaire, tant en nombre de projets retenus, qu’en montant des aides accordées.

En ce qui concerne le soutien à la recherche et développement, le gouvernement a renforcé significativement les moyens alloués au CORAC (Comité d’orientation de la recherche pour l’aviation civile), qui finance notamment les technologies de l’avion décarboné. Il est doté de 1,5 milliards d’euros sur 3 ans.

La décarbonation de l’avion fera la survie du secteur. Mais cette problématique ne concerne pas tous les acteurs de la supply chain. Quid des autres PME ?  
Cette supply chain est composée d’un nombre importants de PME et TPE régionales, parfois très dépendantes d’un client principal. J’attache une attention particulière à ce que ces PME bénéficient pleinement des mesures de France Relance. Ainsi, pour le fonds de modernisation de la filière, les PME représentent la moitié des bénéficiaires occitans.

J’ai également œuvré pour qu’une charte de bonnes relations entre clients et fournisseurs soit signée au sein de la filière dès juin dernier. Le suivi régulier de son application est effectué au sein du comité stratégique de filière.

 

Doit-on s’attendre à un marasme économique à Toulouse, lié à la crise du secteur aéronautique et à la lointaine perspective de reprise du trafic aérien ? La reprise de l'aéro serait-elle à atténuer avec les changements d’habitude observés aujourd'hui ? 
Je veux rassurer les entreprises : à court terme, celles positionnées sur la maintenance verront leur activité redémarrer avec la reprise de l’activité des compagnies aériennes ; les livraisons d’Airbus ont repris un volume important en mars et les perspectives du Boeing 737 max s’améliorent. Sur le long terme, nous aurons toujours besoin de nous déplacer et un aéronef décarboné restera d’abord un aéronef.

Bien sûr, la question principale sera celle de la compétitivité pour répondre aux exigences du marché : c’est pour cela qu’il faut maintenir un niveau d’investissement pour innover et préparer l’avenir.


Vous soutenez aussi les démarches de diversification ?
Le fonds de modernisation de la filière aéronautique a déjà permis de soutenir de nombreux projets de diversification, que ce soit dans la filière aéronautique ou dans d’autres secteurs comme l’énergie ou le ferroviaire, par exemple. J’invite les entreprises à se saisir de cet outil : pour être résilientes, elles doivent sortir de leur dépendance à un faible nombre de donneurs d’ordres.

 

Au sujet de la Convention Citoyenne pour le Climat ne craignez-vous pas un désaccord entre les citoyens et les industries, sur la méthode ?
La Convention Citoyenne a été un exercice démocratique nouveau voulu par le Président de la République. Sa mise en œuvre doit toutefois se conformer, comme tout projet de loi, à un exercice approfondi d’évaluation des impacts, pour décider en conscience les décisions les plus adaptées.
Cela suppose de poursuivre et approfondir le dialogue avec les entreprises et l’ensemble des parties prenantes.
L’industrie française est, j’en suis convaincue, indispensable pour réussir notre décarbonation ; les efforts que nous ferons pour accompagner sa transition vers des procédés et la fabrication de produits neutres en carbone contribuant à sa compétitivité, clé pour créer de l’activité et de l’emploi dans les territoires.

 

Parité : l’emploi des femmes dans l’industrie est un de vos combats. Quelles sont vos actions ? 
L’industrie peine à recruter ; elle a besoin de talents et donc de femmes. Or, elles y représentent seulement 30 % des salariés, et ce taux n’a pas évolué depuis plus de 20 ans.
J’ai créé le Conseil de la Mixité dans l’Industrie. Nous avons élaboré un guide des bonnes pratiques innovantes en matière de parité pour aider les entreprises. J’ai également créé IndustriElles, un collectif de plus de 2000 femmes partout sur le territoire pour faciliter le recrutement et faire émerger des rôles-modèles. Nous avons également travaillé sur les stéréotypes qui éloignent dès l’enfance les jeunes filles des carrières scientifiques et techniques avec la Charte pour une représentation mixte des jouets. Nous allons poursuivre ces travaux pour faciliter l’orientation des femmes vers les carrières techniques et d’ingénieurs, et pour changer leur regard et celui des professeurs et des parents sur l’industrie. L’industrie, ce sont des métiers passionnants et valorisants, pour les femmes comme pour les hommes !