Olivier Jaubert : "j'aimerais que le Stadium devienne un laboratoire d'innovations"

Par Thomas ALIDIERES

En charge de tout l’aspect non-sportif du club de la Ville Rose, Olivier Jaubert a été choisi par les Américains de RedBird Capital Partners comme tête pensante pour développer la marque TFC. Entre gestion des sponsors et volonté d’innover, comment cet expert du marketing ambitionne de redorer le blason violet ?

Olivier Jaubert

Olivier Jaubert

Quel est votre rôle au sein du TFC ?

C’est simple : quand RedBird a racheté le club il y a deux ans (voir encadré), ils avaient la vision d'avoir deux patrons : un pour le sportif et un pour le système «économique». Damien Comolli a été nommé président et s’occupe du terrain, tandis que moi je m’occupe de tout ce qui est non sportif : l’aspect commercial, marketing, communication, etc.

Cela ressemble à un poste de dirigeant plutôt «classique», mais est-ce différent dans un club sportif ?

Ce qui change beaucoup c’est que nous sommes en permanence sous la « sanction » du sportif. Si nous remontons en Ligue 1, nos budgets ne seront absolument pas les mêmes que si nous échouons. Mais c’est mon rôle d’aller au-delà de cette dépendance du terrain et de travailler sur du moyen/long terme, peu importe ce qu’il se passe. Il faut être prêt pour le succès, mais aussi les échecs : cela veut dire avoir deux feuilles de route optimisées, pour chacun des scénarios. Et l’objectif est le même dans les deux cas : gagner de l’argent. Nous sommes une entreprise comme les autres, nous ne pouvons pas tolérer la perte de 10/15 millions d’euros ! Il faut adapter nos dépenses pour construire le club, que l’on puisse être viable en première comme en deuxième division.

Un expert de marketing sportif

Arrivé en août 2020 au TFC, Olivier Jaubert travaille dans l’industrie du sport depuis 29 ans. Initialement agent d’athlète dans une agence de marketing sportif, il rejoint la fédération française de patinage au milieu des années 90. Il intègre ensuite la multinationale Nike pour qui il devient patron du sponsoring, et dirige pour la marque des missions telles que le merchandising du Paris Saint-Germain, de la Juventus de Turin ou de la fédération brésilienne de football. Il devient ensuite directeur commercial et marketing de la ligue de football professionnel française, avant de diriger une équipe de eSport Contact Gaming.

Justement, outre la montée du club en ligue 1, quels sont vos objectifs ?

Déjà, en termes d’ambition sportive, j’ai toujours dit que nous pouvons faire partie du top 8 de l’élite française. Après, sur le moyen/long terme, nous devons continuer à exceller avec notre centre de formation qui est dans l’ADN du club et qui fait régulièrement émerger des jeunes talents nés à moins de 150km de Toulouse comme Nathan Ngoumou et Mamady Bangré cette saison, qui sont arrivés à 5 et 8 ans, ou encore Bafodé Diakité. Ce que je veux aussi, c’est que les gens retrouvent dans le club une identité, une culture, la saveur particulière du Sud-Ouest. Je veux que les entreprises du territoire se reconnaissent dans le Toulouse Football Club, et pour ça nous misons sur l’hospitalité. Il faut que les gens que l’on reçoit se sentent bien traités, ainsi nous avons mis beaucoup d’agent dans la restauration par exemple, en se rapprochant des acteurs du territoire comme Thomas Fantini, le marché Victor Hugo ou Newrest. Nous faisons aussi venir les adjoints du coach et des joueurs après les matchs pour créer de la proximité avec ceux qui viennent au stade. L’objectif, ce n’est pas simplement une dynamique sportive, mais c’est que les gens se disent «j’ai raison de m’intéresser à ce club», supporters comme entreprises. Et dans les deux cas, nos travaux commencent à payer : pour le match TFC-Sochaux il y avait plus de 15 000 personnes dans le stade, soit notre deuxième meilleure vente à l’unité de places sur les 5 dernières saisons, même en Ligue 1. Et côté événementiel, nous avons augmenté de 30% la fréquentation de nos espaces, ce qui prouve que nous avons un vrai produit de qualité.

 

Le virage Brice Taton du Stadium
Le tifo des ultras du TFC en ouverture de la saison 2021 de Ligue 2 contre l'AJA

 

Tout ce travail autour de l’image du club, c’est pour attirer les sponsors ?

Oui et non : l’objectif premier, et qui sera toujours au centre de notre travail, c’est que les supporters aiment leur club et soient fiers d’en afficher les couleurs. Cependant, et c’est une réalité, les sponsors sont extrêmement importants. Être partenaire d’un club sportif c’est la garantie d’une visibilité et d’un coefficient sympathie grâce à l’émotion qu’il génère, et ça peut vite devenir une évidence pour les marques. Après c’est un milieu très concurrentiel avec les autres clubs, les évènements (coupe du monde, JO), les athlètes individuels, etc … Il faut réfléchir à «comment faire venir chez nous plutôt que chez un autre ?». Et pour nous, la clé c’est la souplesse et notre capacité d’adaptation en fonction des besoins. Au-delà du classique 30 secondes de pub sur les écrans géants du stade, on identifie les objectifs du partenaire pour développer du sur-mesure. Par exemple Visionnaire, la marque de Bigflo & Oli : nous avons exploité leur univers de marque pour décorer une loge du Stadium basée sur leurs couleurs, leur identité visuelle. Quand nous sommes en discussion avec une marque, nous concevons une offre que nous ne proposerons à personne d’autres. Après nous ne voulons pas multiplier les sponsors et arriver à saturation comme en témoignent nos maillots : au lieu de 7 enseignes dessus, qui est la moyenne pour un club de notre niveau, nous sommes à 5 actuellement, et seront à 4 l’année prochaine. Mais nous ferons autant d’argent que ceux qui en ont 7 ou 8 : ce qui est important pour les partenaires et sponsors, une fois de plus, c’est d’avoir une vraie bonne raison de venir au TFC.

Premier défi, et pas des moindre : la crise sanitaire

Arrêtée au mois d’avril en raison de la covid-19 alors qu’il restait 10 matchs à disputer, la saison de Ligue 1 2019-2020 a vu le TFC descendre en Ligue 2, où il joue toujours aujourd’hui. Un premier coup porté par le virus qui a ensuite continué à mettre en difficulté les clubs français malgré les aides aux entreprises hexagonales comme l’explique le directeur général : «tout d’abord, le plus important, c’était l’aspect santé et notre grande priorité était de ne perdre personne. Ensuite, du point de vue économique, nous avons eu beaucoup d’aides de la part de la mairie, métropole, département et Région. C’était très très fort. Aussi, comme toutes les entreprises françaises, nous avons bénéficié des aides gouvernementales qui nous ont empêchés de sombrer, comme beaucoup de clubs de L1 et L2. Il y a eu les PGE, les aides à la billetterie, les supports de prêts fixes ou les décalages de paiements de charges. La France n’est pas un pays où l’on traite le sportif différemment du reste des entreprises, comme ça existe pour la culture par exemple. Sur certains plans cela peut être négatif, mais là nous avons eu le bon côté. Après on ne cache pas que certaines mesures sont frustrantes, comme la jauge à 5 000 personnes dans les stades les jours de match, qui a été rétablie en ce début d’année. Nous sommes en pleine croissance, les Toulousains reviennent et d’un coup on leur dit désolé, c’est fini. Il faut aussi mentionner les coûts inimaginables qu’a généré la situation sanitaire : rien qu’en budget de test PCR, on atteint 150 000 € l’année dernière, et il y a aussi une équipe supplémentaire de sécurité par exemple, pour le contrôle du pass sanitaire à l’entrée du stade… ».

Et comment justifier de cette bonne raison ? Vous semblez avoir des idées ?

Nous voulons faire du TFC un club innovant, l’ancrer dans sa nature. A partir de ce moment-là, nous sommes en permanence en veille sur ce qui permettrait d'améliorer l'expérience supporter, les performances sportives, le traitement médical de nos joueurs, etc. Ce n’est pas l'innovation pour l'innovation, mais Toulouse est une ville de start-up de technologie, et nous devons (je pense) forcément nous y intéresser et nous rapprocher de tout ce qui fleurit près de nous. D’ailleurs je passe un message aux jeunes talents : nous sommes toujours à l’écoute de vos propositions. Si le Stadium peut devenir un laboratoire, on en est ravis. Quand j'ai dit auparavant qu’un jour les gens viendront assister à nos matchs à l'extérieur directement dans le stade grâce à des hologrammes c’était un peu provocateur, mais c’est l’idée que nous avons ! C’est encore tôt pour concrétiser, mais les développements technologiques sont là, et nous serons précurseurs le jour où ils pourront être applicables.

Comment on manage un club de football ?

Moi je ne suis pas dans la gestion quotidienne du sportif et des joueurs, qui est un univers bien particulier. Mais pour les 45 collaborateurs qui ne sont pas impliqués sur le terrain, il y a une différence majeure : la motivation. Je dis ça car, le lundi matin, on voit directement ceux qui arrivent avec la banane car on a gagné la veille, ou ceux qui sont dépités par la défaite. Mais mon rôle de manager c’est de garder en tête les objectifs long terme et de balayer les déceptions, qui sont bien plus fréquentes que dans une entreprise «classique» comme avec le tirage de la coupe de France par exemple, ou des évènements qui donnent un goût d’injustice à l’image du match de l’année dernière contre Nantes où nous perdons la montée. Mais il faut relever la tête et dire : nous allons faire encore mieux. Moi, je veux être dans la Champions League de la gestion.

Le Stadium désormais sous pavillon américain

Le 20 juillet 2020 a marqué le début d’une nouvelle ère pour le TFC et Olivier Sadran, son propriétaire depuis 19 ans, lorsque ce dernier a vendu 85 % du club à RedBird Capital Partners. société d’investissement qui dispose d’un portefeuille d’actifs sous gestion de plus de 4 milliards de dollars, RedBird a déjà investi outre-manche dans le club de baseball des Yankees de New-York, la ligue nationale de football américain (NFL), l’équipe nationale féminine de football ou encore la NBA version féminine. Avec Damien Comolli aux manettes (le nouveau président du club qui a eu des postes de direction à Liverpool, Arsenal ou Saint-Etienne), le TFC veut tourner une longue page de déceptions sportives, à l’image de la descente en Ligue 2 lors de la saison 2019/2020, et redevenir un club incontournable de l’hexagone. Le club toulousain ne souhaite communiquer ni sur le montant du rachat, ni sur ses chiffres d’affaires.