Stefan May : « Toulouse est en train de devenir une vraie plaque tournante pour le groupe »

Vous êtes à la tête de Continental France, qu’est-ce que cela représente ?
"Continental France, c’est plus de 6 000 employés répartis sur 13 sites dans 6 régions différentes. Nos 5 usines sont une industrie importante pour le groupe car notre taux d’exportation est d’en moyenne 70 %. À côté de cette partie production nous avons de nombreux centres R&D comme à Rennes, Rambouillet, et évidemment Toulouse. Il ne faut pas oublier non plus la marque BestDrive qui sont des points de maintenance pour véhicules, et qui regroupe 230 centres. Au total, nous réalisons 1,6 milliard d’euros de CA pour l’ensemble de ces activités.

Et dans la région Occitanie ?Nous comptons 1 500 employés sur le site toulousain de Basso Cambo. Environ un millier sont des ingénieurs qui œuvrent pour tous types de développements de nouvelles technologies et leurs applications, avec par exemple la filiale Continental Digital Services. Par ailleurs, nous avons une usine d’assemblage électronique sur ce même site.

Justement, quels sont les secteurs d’activité de l’unité toulousaine ?
De manière générale notre domaine est les nouvelles architectures : aujourd’hui la voiture type sur le marché embarque encore 70 boîtiers électroniques, pour tous types de fonctions. Demain, pour que les véhicules soient capables d’être mis à jour en termes de logiciel, un peu comme les smartphones, la tendance forte de tous les constructeurs est d’aller vers des architectures centralisées, c’est-à-dire avec 4-5 boîtiers qui sont interconnectés, et surtout connectés au cloud. Ainsi le software pourra être amélioré tout au long de la vie du véhicule, et c’est un changement assez drastique de technologie, notre axe majeur de R&D à Toulouse. Nous avons également un vrai centre d’expertise mondial sur les caméras, notamment pour le véhicule autonome et la reconnaissance de l’environnement. Cela va de pair avec un travail sur les capteurs radars, afin de pouvoir situer le véhicule dans son environnement. Enfin, avec Continental Digital Services, nous sommes très actifs dans le cloud pour façonner le véhicule de demain et remportons déjà des contrats avec cette activité.

Et ces recherches d’innovations ont-elles abouties à du concret ?
Un exemple est notre produit e-Horizon, déjà vendu à plusieurs constructeurs. En combinant plusieurs technos il permet de « regarder autour du virage » et de prévenir le conducteur en cas d'événements sur la route. Ce produit permet en outre d’utiliser la cartographie la plus à jour et la plus adaptée à la région dans laquelle évolue le conducteur. Il y a quelques grands fournisseurs de cartographie ; avec notre produit, un constructeur devient « agnostique » par rapport aux fournisseurs de carte puisque notre produit fait appel à la cartographie la plus adaptée au moment où le conducteur en a besoin. De cette manière, le constructeur s’affranchit des contraintes liées à la commercialisation d’un même modèle aux quatre coins du monde, que ce soit en Europe, en Asie où en Amérique du Nord. Le bénéfice pour les constructeurs en termes de diminution de la complexité est direct.

Quand nous avons lancé l’aventure en 2016 le service n’existait pas. 5 ans de R&D plus tard, et une subvention de l’état qui nous a énormément aidé, nous sommes commercialisés avec un grand constructeur national sur tous ses nouveaux modèles. Le cercle vertueux des partenariats publics/privés intelligents a encore une fois servi à l’innovation française, et a montré que nous pouvions créer de la valeur ajoutée dans notre pays. Notre vocation est désormais d’être le centre mondial de cette activité, et de générer des ventes pour le groupe. 

Dernièrement, avec les crises que l’on connaît pour l’industrie, est-ce que ce travail sur l’innovation et surtout sur la production a été perturbé ?

Notre problème actuellement est la pénurie de semi-conducteurs. Bien sûr, la hausse des matières premières comme le cuivre, l’acier ou le caoutchouc est alarmante, et nous devons débourser davantage pour avoir de la matière. Mais les semi-conducteurs, ce n’est même pas une question de prix ! Et encore, E-Horizon est un produit purement software alors nous n’avons pas besoin de puce, mais sur les autres fournitures dites « plus classiques » nous n’échappons pas à ce qui impacte l’ensemble de la profession. Entre ça et le covid, nous avons eu une baisse de 10% du CA en 2021, et imaginons que 2022 sera également placé sous le signe des difficultés d’approvisionnement, avant d’en sortir timidement courant 2023 … mais tous les constructeurs ou équipementiers sont logés à la même enseigne.

Et l’augmentation du prix des énergies ? Etes-vous dépendants de ça ? 

Bien sûr, cela renchérit le coût de revient de nos produits. Ceci est particulièrement vrai dans notre secteur d’activités lié au caoutchouc : le procédé de transformation du caoutchouc nécessite le recours intense à l’énergie. Mais notre usine de Toulouse, spécialisée dans la fabrication de cartes électroniques, est également impacté par la hausse de la facture énergétique, même si l’impact n’est pas aussi net que dans nos activités liées aux procédés chimiques.

Cette crise nourrit évidemment notre réflexion sur l’impact écologique de nos implantations industrielles. Reprenons l’exemple de notre usine toulousaine : il s’agit d’un bâtiment de 10.000 m², construit en 1979, et dont le toit ne supporterait malheureusement pas le poids d’une installation photovoltaïque. C’est pourquoi d’autres idées sont en cours d’évaluation pour améliorer notre empreinte CO2 et diminuer notre facture énergétique. Ailleurs, comme à Sarreguemines en Lorraine où nous avons une usine de pneus, nous avons installé un système de récupération de chaleur fatale.

Quels sont les projets à venir pour cette usine toulousaine ?

Nous nous concentrons sur tout ce qui tourne autour de l'habitacle et de l'électronique. Ça va de l'accès au véhicule avec les clés à distance et les badges, jusqu’aux capteurs de pression des pneus qui sont dans l’habitacle. Le prochain grand projet à venir concerne les antennes intelligentes : sous « l’aileron de requin » des voitures plutôt récentes se cache une électronique, inconnue du grand public, qui accueille toutes les fonctions de réception du véhicule. Cette passerelle doit être sécurisée car elle constitue la porte d’entrée des données descendantes dans le et ne doit pas être « hackée ». Un produit de ce type va démarrer en production en 2023 à Toulouse, et nous agençons déjà l’usine pour accueillir une ligne de production qui représente un investissement de plus de 10 M€. C’est un produit très complet, dont les fonctionnalités ont été développées dans différents centres de Continental Group (Toulouse, Rambouillet, en Roumanie, en Allemagne …) mais dont le projet final a été attribué à la Ville rose.

Quel rôle joue la R&D sur votre site ?
Sur le site de Toulouse, nous dédions habituellement proche de 100M€ par an à la R&D, sur un CA de 220 M€. Nous sommes centre de R&D pour le groupe, donc nous sommes prestataire de services de R&D interne pour des produits fabriqués ou dans notre usine toulousaine, ou dans d’autres usines du groupe. Dans ce deuxième cas, nous revendons les réalisations R&D à ces sites. Cette activité de sous-traitant de l’innovation nous permet de rester aux avant-postes de la technologie, ce qui est un cercle très vertueux pour nous. Actuellement 130 postes sont ouverts, et si un autre gros projet que nous imaginons voit le jour, nous ouvrirons 200 postes en plus. Avec d’autres activités en développement, je prévois d’avoir ouvert d’ici 2023 entre 400 et 500 postes à Toulouse, en plus des 1 500 déjà en place. Toulouse est en train de devenir une vraie plaque tournante pour le groupe.