Cumulant plusieurs records comme celui des livraisons avec 88 aéronefs ou celui du chiffre d’affaires avec 2 Milliards de dollars réalisés en 2015, le constructeur franco-italien ATR ne s’endort pas sur son succès commercial. Au contraire, l’avionneur profite de cette situation très favorable pour optimiser son organisation, améliorer les process, prospecter de nouveaux clients, poursuivre sa politique produit d’innovation.
Des initiatives qui font partie du champ de compétences de Laurence Rigolini, recrutée par le Président Patrick de Castelbajac en 2014 au poste de Secrétaire Générale, membre du Comité Exécutif.
EMP : Comment la production fait-elle face à la montée en cadence ?
Laurence Rigolini :
Ces dernières années, nous avons augmenté notre capacité de production de 70% passant d’une cinquantaine d’appareils livrés en 2010 à 88 en 2015. En 2016, nous ambitionnons 90 exemplaires. Ceci est rendu possible puisque nous avons dupliqué une partie de la chaîne d’assemblage en août 2014. Cela nous permet aujourd’hui d’être dimensionnés pour produire plus de 100 avions par an.
En parallèle, nous avons engagé une étude pour analyser nos process, cerner des points d’amélioration et gagner ainsi en compétitivité et performance. Pour garantir les délais, nous restons attentifs à la supply chain qui dispose d’une bonne visibilité grâce à notre carnet de commande de 3 années.
EMP : Quelles sont les dernières évolutions technologiques en termes d’aménagement ?
Laurence Rigolini : Au niveau de la cabine, nous avons certifié la version Cargo Flex de l’ATR 72-600, permettant aux compagnies de transporter 44 passagers et 20m3 de frêt au lieu de 10. Une option qui a séduit un opérateur de Nouvelle Guinée-Papouasie qui s’est porté acquéreur et qui a pris livraison fin 2015. D’autres prospects sont actuellement en cours pour cette option.
Pour répondre aux attentes de certains opérateurs, nous proposons désormais une option pour densifier la cabine en passant de 74 à 78 places. Cette solution est retenue par la compagnie philippine Cebu Pacific Air qui a commandé 16 appareils dont le premier sera livré dès cet été.
Nous proposons également l’intégration d’un nouveau type de siège très léger, le Titanium Seat Neo pour la cabine de nos avions. Ce nouveau siège a été conçu par la société française Expliseat. Notre client historique Air Tahiti sera le premier à les recevoir.
Ces sièges permettent de réduire le poids jusqu’à 375 kg, de quoi réduire la consommation de carburant, embarquer plus de frêt ou proposer une performance opérationnelle accrue. Dans le même esprit, nous avons développé le Smart Galley, un équipement modulaire qui permet d’adapter la taille et son contenu selon les besoins de la compagnie. Par exemple, pour pouvoir proposer des boissons chaudes ou froides en fonction de la saison.
EMP : Quels sont les axes de R&D ?
Laurence Rigolini : Le cockpit avec les systèmes avioniques fait partie de nos thématiques phares de recherche. Nous avons ainsi sélectionné le système Skylens de l’entreprise israélienne Elbit afin d’équiper les pilotes de lunettes connectées. Ces dernières facilitent l’atterrissage en cas de mauvaises conditions climatiques. Autre innovation, la technologie RNP A/R 0.3/0.3 développée en collaboration avec Thalès. Elle permet d’améliorer les trajectoires d’approche en environnement difficile tout en offrant une précision et une sécurité optimales.
EMP : Et côté moteurs ?
Laurence Rigolini :
Nos turbopropulseurs consomment 40% de carburant en moins par rapport aux jets régionaux et disposent des coûts d’exploitation les plus bas de la catégorie.
Néanmoins, nous nous devons d’anticiper afin de conserver notre avantage concurrentiel. Aujourd’hui, le sujet est moins critique avec un baril de pétrole autour de 50$. Pour atteindre des gains de consommation de 15%, il est nécessaire de réfléchir dès aujourd’hui à de nouveaux moteurs.
EMP : Quelles sont vos cibles commerciales prioritaires ?
Laurence Rigolini :
La force d’ATR est notre base de clientèle mondiale avec plus de 200 opérateurs dans plus de 100 pays.
Cette répartition sur tous les continents nous permet de compenser les fluctuations liées aux économies locales.
C’est pourquoi au-delà de nos clients historiques basés en Europe, Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud, nous avons décidé de partir à la conquête de nouveaux marchés.
Une tournée de démonstration aux Etats-Unis et au Canada avec un ATR 72-600 a eu lieu début mai. Nous avons utilisé la réalité virtuelle pour mettre en avant les différentes configurations possibles, comme par exemple une porte passagers à l’avant ou encore une cabine avec 2 classes (Business et Economy). Cela répond à une demande de nos prospects qui souhaitent un accès à l’appareil avec passerelle et l’instauration d’une classe Business. Nous pouvons satisfaire nos clients en utilisant la porte-avant de l’ATR pour prendre place en cabine. Nous commercialiserons cet aménagement dès lors que nous aurons identifié un client de lancement.
Le marché américain est d’autant plus stratégique que 400 routes opérées jusqu’ici par des jets régionaux viennent d’être fermées faute de rentabilité suffisante et que de nombreuses routes sont aussi opérées par des turbopropulseurs d’ancienne génération. Or l’ATR -600, avec son faible coût par passager transporté, constitue une opportunité de désenclavement pour les zones mal ou non desservies.
Nous allons également intensifier la prospection sur l’Inde et l’Iran qui représentent deux marchés avec des taux de croissance du trafic aérien très important.
En Chine, nous avons ouvert l’année passée un bureau avec des équipes ATR pour mieux comprendre les leviers commerciaux à activer.
Enfin, la conquête du marché africain demeure un objectif majeur. En effet, nous détenons moins de 50% de parts de marché des turbopropulseurs sur ce continent alors que nous dépassons les 75% dans le reste du monde.
EMP : Vous avez fait une percée au Japon ?
Laurence Rigolini : En juin 2015, lors du salon du Bourget, nous avons annoncé la vente de 8 ATR 42 à Japan Air Commuter, filiale de Japan Airlines. Forts de ce premier contrat, nous allons intensifier notre prospection au sein de cet archipel.
Au-delà de ces nouveaux marchés à conquérir, nous restons aussi offensifs sur nos terres de prédilection que sont l’Europe, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est. A cet égard, la crise économique que subit le Brésil nous a impactés et nous incite à redoubler d’efforts pour conforter notre rayonnement commercial.
EMP : En matière de support clients, quelle est l’actualité ?
Laurence Rigolini : Nos clients au Brésil vont disposer d’un stock sur place et de capacité de réparations locales pour gagner en réactivité. Au niveau de la formation et de la sécurité de vol, nous allons ouvrir un nouveau centre de formation de pilotes aux Etats-Unis en 2017.
EMP : Votre futur programme, c’est l’avion de 100 places ?
Laurence Rigolini : Nous pensons que les avions à hélices gardent leur pertinence économique jusqu’à une capacité de 100 places. Par conséquent, nous ferons probablement un tel appareil ; or il s’agit ici d’un horizon à moyen / long terme.
Sur notre cœur de métier, le segment 50 à 78 places, il y a encore beaucoup à faire. Notre objectif est de maintenir l’excellence de notre offre. Cela suppose de l’agilité, de la veille technologique et toujours plus de services proposés à nos clients.
Emma Bao
Diffusé le 2 juin 2016
A retenir
-ATR est détenue à parts égales par Airbus Group et Leonardo (ex Finmeccanica).
-Effectif : 1300 sur les sites de Saint-Martin et Blagnac ; 4000 personnes travaillent sur le programme ATR en France,
-88 appareils livrés en 2015, plus de 90 prévus en 2016.
(Pour mémoire, 15 appareils livrés en 2005 et 51 en 2010)
-ATR détient 37% des parts de marché de l’aviation régionale et 77% des parts de marché des turbopropulseurs.
Recrutée pour son profil commercial et ses qualités managériales
Fascinée très jeune par les hélicoptères, Laurence Rigolini a fait de sa passion un métier, travaillant pendant 25 ans chez Eurocopter devenu Airbus Helicopters.
Elle a occupé diverses fonctions, à la vente pendant une douzaine d’années avant de prendre la direction de la communication du groupe Eurocopter puis celle de la filiale du groupe basée à Moscou.
« Plaçant le client au centre de toute l’activité et intéressé par mon expérience commerciale, Patrick de Castelbajac m’a recrutée pour optimiser l’organisation et la performance tout en préservant l’âme d’ATR » souligne Laurence Rigolini en détaillant sa fonction de Secrétaire Générale au périmètre très large : communication interne et externe, relations institutionnelles et environnement, moyens généraux (gestion des sites), systèmes d’information, amélioration de la performance et de l’organisation.
Dans le nouvel organigramme, a été créée une Direction des programmes. C’est elle qui élabore la politique « produits » après avoir recueilli les informations émanant des services stratégiques : le marketing, les ventes, les bureaux d’études et d’ingénierie, les achats.
Des fonctions ont été transformées en Directions à part entière rattachées au Comité exécutif tels les achats, la qualité, ou la sécurité des vols.
Une implantation sur Francazal
En 10 ans, ATR a multiplié par 4 la surface de production, passant de 8000 à 30 000 m2. En recherche de place pour ses activités de maintenance, la société s’implante à Francazal, louant à la SNC-Lavalin un hangar pour une durée de 43 ans. Ce dernier sera réhabilité et un bâtiment de bureaux sera construit. Une soixantaine de salariés travailleront sur ce site de 3500 m2 dédié à des chantiers, mais pas exclusivement. Des prototypes d’ATR équipés de nouveaux systèmes embarqués pourront par exemple y être testés.