Daniel Segonds-Président du Conseil de Surveillance de RAGT
Comment la petite coopérative fondée par des agriculteurs aveyronnais a pu se hisser dans le top ten des semenciers mondiaux pour les plantes agricoles ? Tout en restant bien ancrée sur Rodez, son territoire d’origine, RAGT a gravi avec succès toutes les étapes pour devenir un groupe international de 1200 personnes réalisant un CA de 372 M€…le tout en restant indépendant avec un actionnariat à dominante locale. A la présidence du Comité de Surveillance après avoir occupé celle du Directoire (cédée à Claude Tabel), Daniel Segonds est un de ceux qui ont construit ces 30 dernières années le succès de cette société très orientée recherche qui lance une centaine de variétés de semences/an. En France, 1 parcelle sur 3 cultivée en blé porte l’empreinte RAGT.
EMP : Ingénieur agronome, vous avez rejoint la société à 23 ans. Vous arrivez à un moment clé dans l’ascension de l’entreprise ?
Daniel Segonds : D’entrée, j’ai été envoyé aux USA, pour compléter ma formation chez Dekalb, le semencier avec lequel RAGT avait conclu un accord de recherche en 1972. C’était pour moi, originaire d’un petit village proche de Villefranche de Rouergue, le grand saut !
Le partenariat avec cette société familiale basée dans l’Illinois nous propulsera sur le devant de la scène internationale. L’entreprise ruthénoise obtient le droit de commercialiser les produits Dekalb sur l’Europe de l’Ouest, reversant un montant fixe par sac vendu. Par ailleurs, une société commune de recherche est créée, chaque partie la finançant pour moitié. Nous avons développé plusieurs semences phares en maïs, sorgho, tournesol…J’ai été nommé à la direction de cette entité franco-américaine en 1983 avant de devenir directeur de l’activité Semences de RAGT en 1995.
EMP : La vie des affaires n’étant pas un long fleuve tranquille, quels soubresauts ont été les plus marquants dans votre carrière ?
D. S. : L’arrivée des biotechnologies et le concept de life sciences ont bouleversé le système existant. Des acteurs comme Monsanto vont mette au point des semences OGM pensées en amont avec le produit phytosanitaire ad hoc. De quoi aborder le marché avec une proposition globale. Les nouveaux entrants vont racheter des sociétés semencières, ce qu’a fait Monsanto en intégrant, dans cette ruée, Dekalb. Les actionnaires de RAGT ont préféré se retirer et préserver leur indépendance.
EMP : Comment s’est opérée la séparation après 27 ans de mariage ?
D.S : En résumé, je dirais « viril mais correct » ! Nous retrouvant seuls pour supporter la R&D et continuant à payer nos « fees » sur les ventes, nous avons été confrontés à un problème de financement. Unigrain et Sofiproteol nous ont alors accompagnés en prenant des participations au capital. Quant au matériel génétique, chaque partie a conservé l’intégralité de ce patrimoine. L’information a été maintenue entre nous pour éviter de lancer des variétés similaires conçues à partir de ce socle commun.
EMP : RAGT a donc rapidement tiré son épingle du jeu ?
D.S. : Cela n’a pas été si évident. Une fois résolus le partage de la propriété intellectuelle et le renforcement de notre haut de bilan, il a fallu imposer la marque RAGT Semences après avoir tout misé en communication sur Dekalb. Là nous est venue l’idée de sponsoriser le Tour de France, engagement que nous poursuivons encore. Les coureurs et la caravane sillonnent les routes de France, au plus près de nos clients que sont les agriculteurs.
EMP : Qu’est-ce qui a boosté votre croissance par la suite ?
D.S. : En 2004, nous avons pu racheter PBI à Monsanto qui face à l’hostilité de l’Europe à l’égard des OGM a cédé cette entité de recherche (l’équivalent de l’Inra) que les Anglais avaient privatisée et vendue au géant américain. Une autre opportunité s’est présentée en 2010 avec l’acquisition de Serasem, la filiale recherche du groupe InVivo qui à cette occasion a pris part au capital de RAGT Semences. Avec cette intégration, la société a enrichi son fonds génétique notamment en colza et protéagineux. L’année suivante, un accord de recherche a été noué avec Bayer, ce qui a accru nos possibilités d’accès à d’autres technologies. Nous sommes présents via des filiales dans toute l’Europe et aussi en Nouvelle-Zélande, en Argentine…Nous avons en portefeuille toutes les espèces majeures de grande culture utilisées par les agriculteurs en zone tempérée.
EMP : Quels sont vos axes de diversification ?
D. S : Nous connaissons le végétal et nous avons un savoir-faire en matière de granulés avec RAGT Plateau Central. Il était donc judicieux de valoriser la biomasse à des fins énergétiques. Nous avons conçu le granulé de chauffage Calys avec sa formule brevetée qui garantit des normes : pouvoir de combustion, taux de fumée, absence de cendres…RAGT Energie a été créée pour développer cette activité (1) qui sera exploitée en franchises.
Concernant notre cœur de métier, nous avons 17 stations de recherche et sommes très bien positionnés sur le Nord et l’Ouest de l’Europe. L’objectif est de poursuivre la croissance organique et la croissance externe pour continuer à compléter notre fonds génétique, l’ouvrir à d’autres bassins climatiques. En R&D, un focus est mis sur la sélection du soja pour soutenir la mise en place d’une filière protéinique française destinée à l’alimentation animale.
EMP : Comment évoluera le déploiement géographique ?
D. S. : Nous voulons améliorer notre pénétration en Europe de l’Est et dans des pays tempérés comme l’Argentine, le Chili, la Chine…L’Europe du Sud fait partie des cibles et sera démarché avec une offre variétale spécifique au climat.
Nous faisons un bon et beau métier. C’est un travail de longue haleine alliant haute technologie et artisanat, ce n’est pas simplement mécaniste. Il faut donc parier sur le long terme et être à l’affût des meilleures opportunités. Nous avons la chance d’avoir au capital de la société un green power dont l’ambition est de contribuer à la réussite rurale avec des semences améliorées et à la création de richesse et d’emplois.
(1) : Un laboratoire a été mis en place dans l’environnement de l’Ecole des Mines d’Albi.
Propos recueillis par Emma BAO
Encadré :
Une aventure démarrée en 1919
Trajectoire est le mot qu’affectionne Daniel Segonds pour rappeler l’histoire de la coopérative RAGT fondée en 1919. Le sigle, Rouergue, Auvergne, Gévaudan, Tarnais en dit long sur l’ancrage territorial et les valeurs défendues par les agriculteurs devenus actionnaires en transformant la structure en SA au sortir de la guerre. Ces derniers ont privilégié le long terme en se versant des dividendes modestes pour que RAGT puisse investir et financer sa croissance.
Constatant que les exploitants agricoles de la région utilisaient des semences mises au point dans le Nord, l’entreprise se lance en 1962 dans la sélection végétale. Si l’objectif de départ était d’avoir des variétés adaptées aux spécificités locales, le curseur s’est rapidement déplacé pour mettre au point un catalogue multi-espèces pour les terres agricoles européennes et au-delà en zone tempérée.
Encadré :
Chiffres clés
-La holding RAGT SA qui centralise toutes les fonctions transverses, coiffe 3 filiales dont 2 entités détenues à 100% RAGT Plateau Central, (161,4M€ de CA, 363 salariés, spécialisée dans alimentation animale, les engrais et amendements, la collecte de grains…sans oublier les 29 magasins Jardin et Maison LISA) et RAGT Energie ; RAGT Semences (214 M€ de CA, 774 salariés) appartient à 66% à la holding.
-Répartition du capital de RAGT SA : 58% les actionnaires historiques et les cadres dirigeants, 17% les actionnaires diffus, 2% les salariés, 6% le Crédit Agricole Nord Midi-Pyrénées, les fonds Sofiproteol (8,5%), Unigrains (8,5%).
- Recherche : 15% du CA investis dans la R&D soit plus de 30 M€/an
-17 stations de recherche en Europe dont 7 en France.
-40% des effectifs composés d’ingénieurs chercheurs.
Encadré :
Parcours et engagements
En prenant la présidence du Conseil de Surveillance, Daniel Segonds a gravi tous les échelons et occupé plusieurs fonctions durant ses 40 années au service de cette société semencière. Dans sa nouvelle mission, une partie de son énergie sera consacrée à l’actionnariat qui avec la 3ème génération familiale au capital est appelé à évoluer. Il faut donc anticiper et agir en préservant les acquis et tout ce qui fait la force de l’entreprise.
Cet entrepreneur, qui a gardé l’âme d’un chercheur, exerce plusieurs engagements et mandats. Après avoir été vice-président et président du GNIS, il vient d’être élu à la présidence du pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation (il en était vice-président depuis le début). Il occupe aussi d’autres présidences comme celle de l’IUT de Rodez, celle de l’aéroport de Rodez…et pour le plaisir de ce sport, il est également Administrateur du club de football Rodez Aveyron. Avec l’espoir de revenir un jour en D2 !