Luc Marta de Andrade
Pourquoi les entreprises doivent-elles s’intéresser à l’IA, voire l’intégrer dans leurs process, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité ?
L’IA, appelée à tort « Intelligence », est un outil d’une extrême puissance. C’est une technologie très ancienne qui a vu son accélération dès le début des années 2000 grâce à l’accélération exponentielle de nos puissances technologiques et la diminution de leur coût. L’IA est partout : dans nos smartphones, nos ordinateurs, etc. Elle envahit notre quotidien. Elle permet de réaliser des tâches répétitives en lieu et place de l’homme mais aussi des tâches à valeur ajoutée dans des domaines aussi variés que la médecine, le juridique, ou la comptabilité. En bref, dans tous les domaines. Elle accélère les process de fabrication, les rend plus fiables ; elle utilise les objets connectés pour en exploiter les données via des outils de Data science, d’analyse comportementale et d’analyse prédictive. Elle sécurise à travers des solutions de Cyber sécurité. Enfin, elle est accessible car les grands acteurs du Digital Mondiaux, comme les BATX (Chine) ou les GAFA (USA), mettent à disposition dans le monde libre des moteurs de développement d’IA, un peu comme il existe des moteurs de développements de site web ; ou antérieurement des moteurs de développement de code informatique. Le tout est de trouver les professionnels qui permettent de bien comprendre les besoins de l’entreprise et de mise en place de solutions et développements adaptés. Voici, pour résumer, un sujet que l’on peut développer longuement…
Les répercussions sont gigantesques. Deux exemples : Adidas relocalise sa production antérieurement délocalisée dans des pays émergents et à la main d’œuvre peu couteuse. Ils ont créé une usine à Ansbach en Allemagne entièrement automatisée et robotisée, avec peu d’intervention humaine, seulement quelques experts. L’usine produit à la demande, en flux tendu, collant avec la plus grande flexibilité aux besoins de leurs clients. FOXCONN, près de Hong Kong, fabrique les IPhones, Samsungs et autres dispositifs développés par Microsoft. Ils emploient près d’un million de travailleurs (qui travaillent dans de mauvaises conditions). Terry Gou, son président, pense avoir la première usine entièrement automatisée (sans intervention humaine) et opérationnelle d’ici 10 ans. Les USA, on le sait, ont énormément investi dans l’IA ; la Chine s’apprête à investir plus de 50 Milliards de $ dans l’IA, La Russie considère que le monde sera dominé par les pays ayant de fortes capacités en IA. Qu’en est-il de l’Europe ? Certains disent que nous avons de « sympathiques nains numériques », laissant entendre notre faiblesse en termes d’investissement. Nous avons pourtant des ingénieurs de haut niveau en Europe et en France capables de rivaliser avec les meilleurs mondiaux dans le domaine, voire d’en faire partie, à l’instar de Yann Lecun qui dirige la recherche en IA chez Facebook et est « celui » ayant permis l’émergence du Deep Learning dans les années 2010.
Bref, les entreprises qui ignorent l’utilisation de ces technologies et ne prennent pas le virage dès à présent prennent un risque certain de déclassement face au monde qui les entourent et de perte de compétitivité face à la concurrence mondiale.
Faut-il prendre en compte la dimension éthique et sociale de ces nouvelles technologies ou laisser faire ?
L’éthique est un sujet majeur traité dans le Think Tank NXU. Deux philosophes de haut niveau se sont beaucoup exprimés sur le sujet. Il s’agit de Laurent Cournarie et Paul Antoine Miquel. Par-delà le fait que l’on ait une inflation d’éthique dans nos entreprises, ne serait-ce que pour véhiculer une image bienséante, sur le fond, nous avons abordé deux sujets majeurs :
- L’éthique de responsabilité à l’égard des générations futures, sujet traité par Paul Antoine Miquel.
- L’éthique embarquée dans nos technologies, sujet traité par Laurent Cournarie.
Je vous invite à aller sur le site de NXU pour lire leurs nombreuses publications.
L’éthique de responsabilité à l’égard des générations futures traite de la boucle de rétroaction entre générations futures et actuelles. Pour aller droit au but, ce que nous décidons aujourd’hui aura un effet direct sur les générations futures qui ne sont pas là pour se défendre, ni même avoir un avis. Activer un principe de précaution systématique n’est pas une option viable car elle peut freiner notre adaptation au monde qui évolue à grande vitesse. Alors quelle solution ? Paul Antoine évoque la construction d’un système d’analyse basé sur une grammaire des catégories pour distinguer le déterminé du prévisible, le prévisible du probable, le probable du plausible, et le plausible de l’incertain. Pour plus de détails, je vous invite à lire son livre Vénus et Prométhée, aux éditions Kimé. De ces définitions peut ressortir une approche systémique que l’Etat peut mettre en place pour orienter les choix en amont de la réglementation ou du principe de précaution. Je développe actuellement une série de publication (voir sur le site de NXU) concernant une approche systémique afin de bien orienter la liberté ; ceci complète la pensée de Paul Antoine et pose le problème de la canalisation de la liberté versus une réglementation excessive.
L’éthique embarquée est celle que l’on choisit de développer dans nos algorithmes. Laurent Cournarie a développé une série de publications sur la morale et l’éthique à travers l’approche philosophique tel qu’elle s’est écoulée au fil du temps. Il pointe surtout la différence entre l’éthique intuitive humaine a priori (tel qu’une réaction réflexe spontanée au volant) et l’éthique rationnelle qu’après analyse on développe dans nos algorithmes, donc a posteriori. Cette approche a posteriori met en exergue la faillibilité humaine versus la fiabilité algorithmique programmée. Mais cette fiabilité résulte aussi de choix humains : ceux que l’on a décidé d’implémenter dans nos algorithmes. Exemple : dans le véhicule autonome, quelles décisions doivent être prises en situation critique ? S’il faut faire un choix, qui doit on tuer ? Le passager, l’enfant ou la vieille dame ? Or, ce choix est structurant. Il peut aussi être culturel : certains pays par exemple vont choisir de conserver la sagesse de la vieille dame, quand d’autres opteront pour l’avenir de l’enfant. Et le passager, doit-il se sacrifier ? Doit-on aussi fournir un système de paramétrage où l’utilisateur peut déterminer ses choix ? Comment construit on la chaine de responsabilités, vis-à-vis du droit, des assurances etc. ? A ce stade, quelle réglementation choisir ? C’est tout un univers à reconstruire et qui n’existe pas aujourd’hui. Il est fondamental, car les choix que nous ferons en France vont structurer notre avenir démocratique et économique versus les autres pays. N’oublions pas que Chinois et Américains disaient ironiquement : « à l’Europe l’éthique, à nous le business ».
Toulouse et l’Occitanie peuvent-elles devenir une place forte en IA avec le lancement de l’Aniti dans la compétition européenne et mondiale
Peuvent-elles ?... Elles doivent !! On ne peut se permettre d’être hors-jeu. C’est nécessaire pour notre compétitivité, et c’est aussi l’occasion unique de devenir plus que ce que l’on est actuellement sur la scène mondiale, de dépasser l’histoire de notre région et faire ici et maintenant une terre digitale et IA innovante. Le monde est global. Aujourd’hui on peut, dans une région éloignée et perdue, créer un ou plusieurs champions mondiaux innovants, ayant la capacité à capter de nouveaux marchés, voire en créer depuis le lieu où ils se trouvent ; notamment grâce à Internet et au Web qui diminuent les distances.
ANITI ne dispose pas d’un budget à la hauteur des grands investissements tel qu’évoqué dans les grands pays cités ci-avant. Or, il arrive souvent qu’une idée prenne de la maturité et une dimension internationale sans disposer pour autant de gros moyens en termes de R & D. Le problème vient ensuite… Après l’idée, il faut les moyens d’industrialiser et surtout de diffuser. On oublie trop facilement l’importance du financement du marketing et du commerce. Au moins aussi important si ce n’est plus. Typiquement, Facebook n’aurait jamais eu un tel impact si Mark Zuckerberg n’avait pas croisé un financier qui lui donne les moyens de se déployer. Et quel financier… C’est un exercice que peu savent faire, tant du côté des entrepreneurs que du côté des investisseurs. Il faut bien le dire… Car l’émergence d’un champion ne se fait pas à coup de 100K€ par-ci, 500K€ par là ; mais plutôt de dizaines de millions d’euros pour rapidement se positionner internationalement.
Le pont entre les projets de R & D au sein d’ANITI et le marché sera donc très important.
Il y a une forte dynamique dans notre région : Digital113 et NXU ont créé une Open Factory pour animer la filière IA, les projets, la formation et l’interface avec la recherche. At Home anime l’écosystème des Start-ups en IA. La Mêlée numérique s’empare aussi du sujet. Et l’IOT Valley montre que la diffusion d’objets connectés s’accélère exponentiellement alimentant ainsi le Big Data. Des milliards d’objets et d’humains seront de plus en plus connectés dans les années à venir, bouleversant ainsi nos organisations traditionnelles, renversant la hiérarchie des grands et des petits. Le conseil Régional est très actif à travers l’Agence Ad Occ. Sans oublier le MEDEF Haute Garonne qui soutient en permanence toute initiative autour de l’IA. Tous les feux sont au vert. Il absolument faut que tout ceci converge par-delà les organisations...
Pour conclure, je pense qu’il nous faut faire une veille permanente sur l’ensemble des projets IA de la région, repérer les projets à potentialité forte pour les soutenir et les mettre en visibilité internationale. Je proposerai cette idée à l’Open Factory Digital113-NXU.