Depuis 20 ans, le LAAS-CNRS travaille sur le concept d’habitat intelligent, la domotique d’assistance pour améliorer les conditions de vie ou la prise en charge des personnes en état de fragilité ou de dépendance. Le vieillissement de la population européenne, les déficits des régimes publics de santé montrent combien il est urgent de réorganiser les politiques de soin avec la généralisation de technologies capables de détecter mais aussi de prévenir les situations à risque. C’est un enjeu mondial qui mobilise de plus en plus d’acteurs économiques et institutionnels.
Midi-Pyrénées est en pointe sur cette thématique avec une approche très pragmatique décliné sur trois terrains de jeu, comme le souligne Eric Campo Professeur l’Université de Toulouse 2 et chercheur de l’équipe Nano ingénierie et intégration des systèmes du LAAS-CNRS. Au sein du bâtiment Adream, plusieurs chercheurs interdisciplinaires (domotique, réseaux, robotique…) rassemblés sur un même plateau conçoivent des solutions, évaluent leur faisabilité, s’impliquent dans de nombreux programmes de R&D. Une autre pièce essentielle du puzzle se trouve à Blagnac avec la Maison Intelligente implantée au sein de l’IUT. Là sont testées et évaluées les technologies proposées par les laboratoires et les industriels dans un environnement proche de la réalité. Des utilisateurs potentiels viennent expérimenter ponctuellement les dispositifs, valider leur pertinence. L’autre composante est composée d’expériences sur site avec plusieurs projets de R&D conduits dans des milieux différents : hospitalier, Ehpad, à domicile… Parmi ceux-ci, figure Homecare qui est arrivé à son terme en avril 2013. Ayant bénéficié d’un financement ANR TecSan, ce projet démarré en 2009 et porté par le LAAS comptait plusieurs parties prenantes dont Atos (informatique d’intégration), Cedom (capteurs de présence), l’Hôpital de Caussade, l’Institut Européen de Télémédecine… Au sein de l’unité Alzheimer, 3 patients et leurs chambres ont été équipés afin de déployer à terme un système de surveillance jour et nuit de la personne dans son lieu de vie. Des capteurs de mouvements infrarouges ont également été installés dans des endroits stratégiques de l’unité. Une étiquette électronique comportant un accéléromètre et une transmission radio (Zigbee) a été mise au point. Ce tag d’une portée réglable de 10 à 30 mètres, a été intégré dans un sparadrap apposé au dos du patient. Des balises réceptives ont permis de récupérer l’identification du détenteur du patch, sa géolocalisation, la détection de chute. Les différentes données ont été ainsi transmises vers un PC (aménagé dans le local des infirmières) muni d’une interface permettant à chaque acteur dans la boucle de se connecter à distance pour un suivi temps réel. Le modèle développé comprend de nombreux paramètres dont la fiche bilan fournissant au médecin un historique des événements et comportement du patient. Pour chacun, un profil de normalité (vitesse moyenne, distance parcourue, activité nocturne) est automatiquement défini et comparé au comportement courant afin de repérer les écarts. Les signaux envoyés par les capteurs mettent en exergue tout signe de dérive ou d’anomalie. Le PC donne l’alarme en cas de détection de chute ou de modification anormale de l’activité.
L’équipe médicale de l’hôpital de Caussade a bien joué le jeu pour la réussite du projet. Un questionnaire vient de lui être soumis pour qu’elle évalue la pertinence du système. « L’intérêt de Homecare est que les industriels s’approprient la technologie et lancent une offre produits » précise Eric Campo. Parmi les marchés cibles, se détachent deux segments, les Ehpad et le maintien à domicile.
Une suite à ce projet est en cours de préparation avec la constitution d’un consortium capable d’aboutir à une solution commercialisable, conciliant efficacité et réduction des coûts. Atos s’investit activement sur ce dossier. Côté LAAS, la R&D se poursuit pour optimiser le dispositif. Un Ehpad a été reproduit à petite échelle dans le bâtiment Adream du LAAS, on y teste d’autres possibilités comme l’intervention d’un robot assistant après la détection de chute. Ce dernier peut apporter les premiers secours, donner l’alarme… Cet espace sert aussi de base de R&D pour les autres projets d’assistance domotique auxquels participe le LAAS. Depuis un an a débuté SACHA, labellisé par les pôles CBS et Aerospace Valley. Porté par la société Sigfox, ce programme vise à concevoir un patch miniaturisé et un bracelet. Partie prenante, le Centre Hospitalier du Val d’Ariège sert de cadre d’expérimentation des technologies et usages. Les patients seront dans un premier temps équipés de bracelets en attendant le futur Tag, deux moyens de faire du contrôle d’accès, de la détection de fugue et de chute en intérieur et extérieur.
Encadré
Semelle intelligente : déceler la fragilité pour prévenir la dépendance
Le LAAS travaille sur ce sujet en relation étroite avec le Gérontopôle du CHU de Toulouse qui a mis au point une plateforme de fragilité. Le médecin traitant adresse vers ce service des patients présentant des signes d’affaiblissement avérés ou latents. Plusieurs indices révèlent l’amoindrissement de l’état physique comme la perte de poids, la vitesse de marche (1), la force de préhension, la baisse de l’activité physique, la fatigue « La fragilité étant un phénomène réversible, il est important d’agir en amont pour prévenir la dépendance » estime Eric Campo en évoquant le projet de semelle intelligente. Opérationnel depuis septembre 2012, Foot-Test (financé par la Direccte dans le cadre du programme MND Innovation) s’étend sur 18 mois. Porté par Intesens, ce programme fédère Médicapteurs, le LAAS, le Gérontopôle. Dans la semelle est insérée le Tag électronique déjà développé dans le cadre de Homecare. Il sera enrichi d’autres fonctionnalités comme la mesure du poids, et la récupération de l’énergie mécanique dégagée par le marcheur pour assurer l’autonomie énergétique de la semelle. Dans ces travaux, seront capitalisées les différentes briques technologiques déjà développées par les acteurs du projet.
L’enjeu est de réduire les coûts, de renforcer la précision dans la mesure, de rendre le port de la semelle transparente pour l’utilisateur. Foot-Test se focalise aussi non seulement sur la faisabilité technique mais aussi sur l’approche marché et produit. Le tout pour aboutir à un financement ANR. Dans cette perspective, des verrous ont été levés tout comme est en cours une étude sur l’industrialisation et la commercialisation. Les acteurs de Foot-Test rejoints par Actia, Sadir (assistance à domicile), l’Université de Grenoble ont constitué le projet Respect labellisé par le pôle CBS. Les partenaires attendent la réponse quant à l’engagement financier de l’ANR.
Avec l’outil semelle intelligente, l’objectif est d’aboutir à un dispositif de mesure et de suivi non intrusif et permettant du coaching motivationnel, à ce que chacun soit acteur de sa santé. Munie d’une tablette ou d’un mobile, la personne pourra à partir de la semelle mesurer sa performance, prendre conscience de la nécessité d’agir pour rectifier les écarts.
Emma BAO
Diffusé le 5 juin 2013
(1) : A 0,4 m/seconde, la personne est considérée comme très dépendante.