Jean-Michel Lattes, président de Tisséo, explique le projet de la troisième ligne de métro à Toulouse - un parcours de 10 ans - ainsi que l’état des lieux de ce chantier titanesque.
Jean-Michel Lattes, président de Tisséo. (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)
Entreprises Occitanie. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la genèse du projet de la troisième ligne de métro à Toulouse ?
Jean-Michel Lattes. Bien sûr. Le projet a germé pour la première fois pendant la campagne des municipales de 2014. À l'époque, le débat tramway/métro était au cœur des préoccupations, et l’adversaire préconisant les tramways. L’approche de Jean-Luc Moudenc était différente, orientée vers une troisième ligne de métro partant de Labège Innopole, traversant des zones industrielles et stratégiques telles qu'Airbus Défense and Space, la gare Matabiau, et une partie de la zone aéronautique autour de Colomiers.
40 sites simultanés
EO. Comment s'est déroulée la chronologie du projet depuis son initiation en 2014 ?
J-M. L. La trajectoire a été assez classique pour un projet de cette envergure, mais peut-être un peu longue. La partie administrative a pris sept ans, incluant l'obtention de l'autorisation environnementale et la déclaration d'utilité publique.
"Le projet a également été soumis au grand débat public, une première pour les projets de transport en France. La première pelletée de terre a été donnée en décembre 2022, près du Stade Toulousain, marquant le début d'un chantier historique avec 40 sites simultanés".
EO. Pouvez-vous nous donner des détails sur le budget du projet de la troisième ligne de métro à Toulouse ?
J-M. L. Actuellement, le budget des travaux publics, qui englobe les chantiers lourds et les creusements, est en cours et dépasse déjà le milliard d'euros. Le budget du second œuvre, évalué à environ 400 millions d'euros, est en cours de lancement. D'autres postes budgétaires comprennent l'expropriation et le matériel roulant, portant le budget total à plus de 3 milliards d'euros, faisant de la troisième ligne de métro le plus important projet de transport en France après le Grand Paris.
EO. Où en est actuellement le chantier de la troisième ligne de métro ?
J-M. L. Le chantier suit sa chronologie prévue, avec le lancement des travaux lourds en 2023. Actuellement, nous sommes dans une phase de conciliation avec le gros œuvre, qui se poursuivra jusqu'en 2026. Six tunneliers, essentiels à la réalisation des souterrains, arriveront cette année, marquant une étape cruciale dans le projet. La connexion de la Ligne B à la Ligne C est un véritable enjeu pour l’amélioration de la desserte des grands pôles économiques du territoire. Le projet génère plusieurs centaines d'emplois directs et indirects, mobilisant des travailleurs pour le creusement des tunnels, la construction des stations, et d'autres travaux connexes.
"Les marchés conclus avec les entreprises impliquées incluent des clauses visant à promouvoir l'emploi et à favoriser l'insertion et la formation. Un objectif minimal de 85 546 heures d'insertion a été fixé, équivalent à 53 emplois, dont 20% dédiés à la formation".
Arrivé le 11 janvier 2023, le tunnelier Clémence Isaure doit débuter son creusement entre février et juin 2024, avec un second creusement prévu entre juillet et octobre 2024. Clémence Isaure est une figure semi-légendaire du Moyen Âge, associée à la fondation des Jeux floraux de Toulouse au début du XVe siècle. Son engagement envers la poésie et la restauration des Jeux floraux a marqué l'histoire de l'Académie des Jeux floraux, faisant d'elle une figure emblématique de la ville.
EO. Pourquoi avoir choisi d'interconnecter les stations de métro avec le réseau ferroviaire ?
J-M. L. L'enjeu est de pouvoir connecter la ligne C avec le réseau ferré. Il y a un engagement de la région Occitanie, et ces cinq stations de connexion – La Vache, Colomiers Gare, Matabiau, Montaudran, et Labège Gare – serviront de points d'entrée sur le réseau toulousain. Cela prépare le terrain pour un futur Réseau Express Régional (RER) toulousain, redistribuant efficacement les voyageurs arrivant en train.
J-M. L. Le projet de RER toulousain est en phase d'études, impliquant la collaboration du G5, qui réunit la préfecture, le Département de Haute-Garonne, la Région Occitanie, la Métropole de Toulouse et Tisséo. Les cinq stations de connexion jouent un rôle clé dans la conception de ce réseau. Le projet vise à redistribuer efficacement les personnes arrivant en train vers différents points de la métropole toulousaine. Le but est d’amener les personnes jusqu’à leurs entreprises.
EO. À terme, combien de personnes pourront utiliser les trois lignes de métro ?
J-M. L. Les lignes A et B pouvaient chacune accueillir environ 230 000 personnes par jour. Avec l'extension de la ligne A en 2017/2018, elle peut actuellement transporter jusqu'à 400 000 personnes. La ligne B, actuellement à 230 000, est en cours d'extension pour atteindre la même capacité. La ligne C, lancée avec 200 000 passagers, a un potentiel d'évolution atteignant 600 000 personnes par jour. Lorsque toutes les lignes seront opérationnelles, le système toulousain pourra supporter 1,4 million de voyageurs par jour.
Le coup d'envoi des travaux de génie civil de la ligne C du métro avaient été donnés le 15 décembre 2022 sur le secteur des Sept-Deniers avec la réalisation du puits Canal Latéral. En 2023, les travaux de génie civil ont été engagés sur 15 des 17 stations enterrées de la ligne C. Début 2024, les travaux de la station Saint-Martin-du-Touch ont débuté, "l'ensemble des stations souterraines vont entrer progressivement dans la phase de terrassement. En parallèle, les travaux de réalisation de 10 ouvrages annexes vont démarrer en 2024", précise Tisséo.
Cette année 2024 sera le symbole des ouvrages remarquables avec le viaduc et la mise en place du tablier. Des travaux sont en cours sur la future station Diagora, à Labège. Les tunneliers (qui porteront les noms de cinq femmes connues dans l'histoire de la Ville rose comme Marguerite de Catellan, Marie-Thérèse de Villeneuve-Arifat, Berthe de Puybusque, Jeanne Marvig et Lise Enjalbert) vont être mis en service mi-2024 et partiront des cinq principales bases chantiers : puits de Colomiers Gare, les stations Ponts-Jumeaux, La Vache, Raisin et Montaudran Gare Piste des Géants.
Enfin, le processus de désignation des entreprises pour la réalisation des phases ultérieures des travaux va se poursuivre. Il s'agit des travaux de réalisation des bâtiments du garage atelier et des stations aériennes, du second oeuvre des stations et des équipements systèmes pour les courants faibles. Ces travaux succèderont au génie civil dans les ouvrages. "Plus de 50 marchés permettront de désigner les entreprises", conclut Tisséo.
J-M. L. Le versement mobilité est un impôt crucial dans le financement de Tisséo, l'organisme collecteur des impôts pour le projet. Conformément à un texte national, les entreprises de province ayant au moins 11 salariés sont autorisées à prélever 2% de leur masse salariale brute pour contribuer à ce fonds. A titre d'exemple, Airbus va verser autour de 30 millions d'euros à Tisséo sur la base de ce versement mobilité.
Tisséo dispose de trois principales sources de financement. En tête, le versement mobilité devrait représenter environ 320 millions d'euros en 2024. Ensuite, les contributions des collectivités locales, estimées à 110 millions d'euros, constituent une part importante. Enfin, les revenus des usagers, provenant des tickets, atteignent 105 millions d'euros.
Le versement mobilité est un impôt plafonné à 2% à Toulouse. Une récente augmentation à Paris a porté ce plafond à 3,3%.
"Nous revendiquons une augmentation à 2,2 ou 2,3% pour dynamiser le développement des transports publics dans toutes les grandes agglomérations de France. Il y a une mobilisation significative au niveau régional, avec l'intervention active du département, de la région, et de la métropole auprès des ministères. Tisséo, en collaboration avec d'autres collectivités, prépare actuellement une lettre au ministre pour exprimer notre demande d'augmentation du versement mobilité".
Cette démarche est soutenue par plusieurs communes qui ont également pris des initiatives similaires. Notre objectif est d'accroître notre dispositif financier afin de garantir un service de transport public à la hauteur des attentes. Le versement mobilité est un pilier majeur du financement de la troisième ligne de métro.
EO. Comment le versement mobilité influencera-t-il d'autres projets futurs de Tisséo ?
J-M. L. Depuis 2014, nous avons entrepris une série de projets visant à transformer le paysage des transports en commun à Toulouse. Parmi ceux-ci, le réseau Linéo, la prolongation du tram jusqu'au MEETT, l'emblématique Téléo, et bien d'autres projets d'accompagnement de la troisième ligne de métro qui apporteront des changements significatifs.
Le réseau Linéo est une initiative visant à desservir les zones peuplées mais mal achalandées en matière de transport en commun. Actuellement composé de 10 lignes, nous prévoyons d'en ajouter 4 à 5 de plus d'ici la fin du mandat. Ces lignes rapides offrent une solution de transport public robuste, augmentant de plus de 20% l'accessibilité dans les zones concernées.
"La troisième ligne de métro entraînera une refonte majeure du réseau. Des lignes devenues obsolètes seront redéployées pour cibler les populations moins bien desservies, ce qui nécessitera une réorganisation complète du réseau. Après le lancement de la ligne C, nous prévoyons également un projet d'extension et prolongement de la ligne B pour renforcer davantage notre réseau".
De plus, depuis 2019, avec la loi Lom, Tisséo est devenu l'opérateur en charge des plans directeurs vélo. Nous travaillons en collaboration avec la métropole et le département pour créer des infrastructures dédiées. De plus, Tisséo renouvelle actuellement la concession de vélo à Toulouse, passée récemment à un appel d'offres. Dans les mois à venir, nous prévoyons une expansion significative de notre système actuel de vélos, passant de 250 à plus de 400 stations, avec une transition vers des vélos électriques, la moitié dès cet été, marquant ainsi un nouveau chapitre dans la mobilité à Toulouse.
Avec l’ensemble de ces projets, nous aspirons à créer un système de transport public intégré et évolutif, répondant aux besoins croissants de la population. L'avenir promet un "Big Bang" dans la mobilité, avec des projets d'envergure et des changements significatifs pour la communauté toulousaine.
EO. Comment envisagez-vous l'avenir du projet de la troisième ligne de métro à Toulouse ?
J-M. L. L'avenir s'annonce prometteur. La troisième ligne de métro n'est pas seulement un projet de transport, c'est un catalyseur du développement urbain, de l'emploi local, et de l'amélioration de la mobilité à Toulouse. Avec une inauguration prévue fin 2028, nous nous dirigeons vers une ère où les transports en commun joueront un rôle encore plus essentiel dans la vie quotidienne des Toulousains. L'enjeu est de construire un système de transport public à la hauteur des attentes de nos futurs usagers et de stimuler le transfert de la voiture individuelle vers les transports en commun.