Yann Barbaux, président du pôle Aerospace Valley.
Yann Barbaux : « La supply chain devrait subir jusqu’à 50 % de baisse d’activité »
Le président du pôle Aerospace Valley Yann Barbaux mesure les répercussions de la crise du covid-19 sur la filière aéronautique. Il prévoit une activité réduite jusqu’à 50 % pour l’ensemble de la supply chain, sans doute jusqu’à la fin de l’année. Selon lui, l’après-crise s’accompagnera d’une nouvelle vague de consolidations et de diversifications vers d’autres secteurs.
Un mois après le démarrage du confinement en France, quelle visibilité avez-vous sur la situation économique des entreprises de l’aéronautique en Occitanie ?
Le contexte évolue en permanence, et les constats sont très inégaux en fonction des activités mais aussi de la situation financière des entreprises au moment où la crise est arrivée. Certaines s’étaient endettées pour financer leurs investissements, d’autres disposaient d’un bon niveau de trésorerie… Toutes ont surprises par l’arrêt soudain et non prédictible de leur activité. Notre région est le premier bassin d’emploi aéronautique et spatial en Europe, nous sommes donc parmi les plus impactés. Une enquête menée par la Dirrecte Occitanie pour le compte de la DGE (en lien avec la DGAC, la DGA et Gifas) entre le 31 mars et le 6 avril montre qu’à côté des problèmes de trésorerie, pour 48 % des entreprises interrogées (environ 500), le manque d’équipements de protection est la principale difficulté.
Le manque d’équipements est un frein à la reprise ?
Oui, d’abord les gels hydro-alcooliques puis les masques ont manqué et manquent toujours. On observe beaucoup de solidarité entre les entreprises pour grouper des commandes ou échanger les bonnes pratiques. Le pôle Aerospace Valley joue ce rôle de relais d’information et nous avons lancé une plateforme de mise en relation. Celle-ci est très utilisée. On peut aussi citer le club Galaxie qui centralise des commandes pour ses membres. Mais je rappelle aussi que même si tout le matériel était accessible aujourd’hui, les mesures de distanciation compliquent la production et réduisent forcément la capacité de production.
La plus grande inconnue reste la reprise du trafic aérien…
Oui, c’est pour le moment du domaine de la boule de cristal. A mon avis, le trafic commercial mondial reprendra normalement lorsque la crise sanitaire sera totalement maîtrisée, lorsque l’on aura un vaccin… Quand ? personne ne peut répondre aujourd’hui. Les annonces des avionneurs et des compagnies aériennes donnent tout de même de quoi prévoir pour les prochains mois. Airbus a annoncé passer de 60 à 40 appareils monocouloirs par mois, mais les acteurs de la supply chain avaient déjà prévu du stock, ce qui veut dire pour eux que la reprise d’activité est davantage réduite et pourrait atteindre les -50 % au sans doute jusqu’à la fin de l’année. En fait les situations vont être différentes en fonction de la position dans la chaîne de valeur (rang 1, 2, 3 ou 4) et des stratégies de stock mises en place par leurs clients directs.
Comment vont réagir les compagnies aériennes ?
Rappelons-nous qu’il y a quelques mois, l’enjeu était de répondre à la montée des cadences. La situation s’est tout simplement inversée. Du côté des compagnies aériennes, les plus grandes devraient bénéficier de l’appui de leur pays. Une étude du cabinet Archery informe que les compagnies aériennes ne disposant pas des liquidités suffisantes pour traverser une crise longue et profonde pourraient ne pas se remettre de Covid-19. Mais, selon cette étude, seulement 18 compagnies représentant une petite flotte de 1100 appareils menacent de faire faillite prochainement. Les plus grandes compagnies nationales ou grandes compagnies low-cost devraient tenir le coût, grâce au soutien leur Etat ou parce qu’elles ont une certaine profondeur de cash.
Comment voyez-vous évoluer le secteur aéronautique, après ce choc ?
Cette crise va conduire à une vague de consolidations dans la filière, avec de nouveaux groupements de PME fragilisées qui vont se constituer en ETI. L’autre conséquence, sera un mouvement de diversifications. Celles-ci ont déjà démarré avec des PME qui se sont lancées dans la production d’équipements d’urgence : gel (pour les acteurs de la chimie), masques, respirateurs, visières… Mais de façon plus large, les entreprises dédiées à l’aviation civile pourront se tourner vers d’autres débouchés comme le spatial, la défense, sécurité civile, l’énergie, le médical, mais aussi les drones et les hélicoptères qui semblent moins impactés. Les sous-systémiers et fabricants d’aérostructures ont les compétences pour produire des éléments dans ces secteurs.
Votre pôle va-t-il accompagner la diversification ? et comment ?
Nous travaillons déjà depuis quelques années avec le pôle Eurobiomed et le CHU de Toulouse pour voir comment faire collaborer toutes nos compétences. Sur le plan médical, l’automatisation, la robotisation mais aussi les systèmes électriques, la mécanique de précision, l’intelligence artificielle sont des compétences requises… Nous allons nous organiser pour développer ces collaborations.
La R&D aussi est menacée par les coupes de budget…
Les progrès de R&D ne doivent pas être ralentis. La diversification vers d’autres applications est une option mais globalement, pour l’aéronautique, le challenge de la décarbonation doit rester prioritaire et il faut continuer à financer nos avancées dans le domaine l’hybride électrique. Le Gifas travaille en ce moment avec l’Europe pour veiller à ce que les programmes demeurent et que les appels à projets continuent. Pour le moment, nous constatons que les programmes portés par Aerospace Valley continuent à être suivis. Sept candidatures ont été enregistrées récemment. C’est une bonne nouvelle. Nous allons aussi nous rapprocher de la Région au sujet du financement de l’innovation. Il faut toujours se rappeler que l’avance technologique est un atout de compétitivité. Il faudra être capable de se démarquer quand la reprise sera au rendez-vous…